La crise actuelle du Covid-19, qui n’a pas d’équivalent dans le monde contemporain, nous renvoie à plusieurs défis :
Certes, il faut, peut-être, à l’image de la phrase mythique du « Guépard » (écrit par Tomasi di Lampedusa, réalisé par Visconti) « que tout change pour que rien ne change »… Et encore, que sommes nous prêts à conserver ?
Les démarches environnementales sont, elles-mêmes, fanées, n’ayant jamais réussi, dans les entreprises ou même ailleurs, à modifier profondément les modèles d’affaires ni à réduire, globalement les impacts environnementaux, ni même d’ailleurs à les mesurer, les catastrophes, l’invisible, l’imprévu (accidents, pollutions diffuses…) étant « hors scope ». Tout au plus ont-elle permis à leurs promoteurs de « gagner du temps ». C’était d’ailleurs le seul objectif de mon premier manager, dans un grand groupe agro-alimentaire. Faire un peu, mais peu, en attendant la retraite…
Comment jeter la pierre, quand certains résultats ou objectifs se mesurent au trimestre…
La pierre nous est, en tout cas, revenue en booomerang, par notre incapacité intrinsèque, cérébrale, à penser le long terme.
Il faut dire que notre brillant économiste John Maynard Keynes, pourtant promoteur d’un Etat-Providence (bien utile en ce moment) avait déclaré, de façon un peu trop définitive, avouons-le : « à long terme, nous sommes tous morts ». C’était faire peu cas des générations futures, des autres êtres vivants, de la valeur de la Vie, de la prédation qu’implique une vision à court terme et du risque sanitaire quotidien qu’impliquent la crise sanitaire actuelle, mais aussi la crise environnementale… Et que dire de sa « Lettre à nos petits-enfants » , parue en 1930, qui prédit pour 2030 une société d’abondance rendue possible par une accumulation du capital sans précédent, et quasi sans travail…
2020 : nous envisagions encore, il y a quelques semaines, 2030 avec les objectifs onusiens de développement durable (ODD). Avons-nous accumulé assez d’abondance pour nous passer du travail pendant plusieurs semaines ? Assurément non (ou du moins cette abondance n’est pas encore équitablement partagée), il faut toujours répondre « aux besoins du présent », mais quid des « besoins des générations futures » (la définition du développement durable de Gro Harlem Brundlandt de 2007 ne doit-elle pas être elle même révisée ou réinterprétée, de façon encore plus radicale) ?
2020 : comment encore se projeter dans des démarches de progrès, que nous vendent nos élites « éclairées » ?
Impossible en tout cas, sans 4 nouveaux axiomes :
Carlos Moreno, inventeur du concept de la ville du quart d’heure, ne pensait sans doute pas que son concept serait mis en application aussi vite et de manière aussi radicale, avec la ville du kilomètre. Il est presque paradoxal (ou finalement attendu, notamment par les financiers, depuis longtemps) de constater que la crise actuelle a fait du village mondial (théorie chère à Marshall McLuhan) un village réinventé…
Le jour d’après, inventons également, désormais, le temps utile qui correspond à ces « jours heureux » évoqués récemment, ou moins récemment, par plusieurs décideurs, passés et présents.
Ce temps utile sera un temps fructueux, un temps long.
C’est la responsabilité de notre génération de mieux contrôler les élites (voire de les remplacer) et de redéfinir les priorités, qui ne peuvent que s’approcher, se comprendre, se raisonner par la prise en compte du global et du long terme (qui ne doivent plus êtres des options dans des discours, mais la base des projets opérationnels).
Notre espace est plus petit, certes, mais notre temporalité est, avec un lourd tribut, plus grande…
Et peut-être pourrons nous enfin penser aux générations futures ! Et agir, malgré le prix fort que nous payons (social et économique) et en ne faisant plus payer à l’environnement nos fameuses externalités…
Nous en avons désormais, étonnement, le temps.
Philippe Schiesser
17 avril 2020